Photo : Jacques Girard
Le 3 décembre 2021, Jacques Girard s’est éteint à la suite d’un courageux combat contre le cancer. Cet homme est parti comme il a vécu, c’est-à-dire sereinement et entouré des gens qu’il aimait. Ce billet de blogue lui sera donc consacré. Il sera un peu plus long que d’habitude, car je souhaite rendre hommage à un homme tout simplement « Hors normes ».
Comme nous le savons, en normalisation internationale, la langue de travail est l’anglais. En 2006, Jacques Girard, alors directeur du Bureau de normalisation du Québec (BNQ), décide de créer le Réseau Normalisation et Francophonie (RNF) avec son complice de l’époque, Alain Durand, secrétaire général de l’AFNOR. Leur objectif : réunir les organismes nationaux de langue française et créer un solide réseau en mesure d’échanger dans leur langue sur leurs défis, leurs ambitions et leurs projets. Ces deux visionnaires avaient déjà pressenti tout le potentiel de ce nouveau réseau pour contribuer à un espace économique francophone dynamique. Jaques Girard était fermement convaincu que la meilleure façon de conserver une langue vivante, c’était de la rendre économiquement viable. C’est pourquoi il voulait que le RNF soit un réseau à vocation économique. Aujourd’hui, près de 15 ans plus tard, le RNF est un acteur de changement porteur de solutions et de projets concrets présent dans 30 pays! Le modèle a même été imité par les pays membres du Commonwealth et de cela, monsieur Girard n’en était pas peu fier!
Pour lui, les normes, c’était – et c’est toujours – de l’économie pure, puisqu’elles servent à accéder aux marchés et à accroître notre productivité en appliquant les meilleures pratiques. Le RNF devait donc servir de courroie de transmission pour porter la voix francophone dans les enceintes des négociations internationales et contribuer au bien commun.
D’ailleurs, l’idée de travailler au bien commun pour créer un monde meilleur a été le fil rouge de son existence. Cette ambition a teinté toutes ses actions. D’abord, au premier rang avec sa famille, qui pouvait toujours compter sur lui tel un roc. Il s’assurait de veiller sur eux en permanence et avait toujours du temps à leur consacrer pour les écouter et les conseiller. Il aimait faire découvrir mille et une petites choses de la vie à ses petits-enfants. Il a aussi œuvré de nombreuses années en politique, dans l’ombre, pour faire briller au travers des autres les idées sociales auxquelles il croyait fermement. Puis, bien sûr, avec la normalisation.
Il considérait que les normes étaient de puissants outils pour établir un consensus sur la connaissance et sur les meilleurs pratiques pour fabriquer un produit ou encadrer un service. Il suffisait ensuite de diffuser largement cette connaissance pour contribuer à améliorer le monde dans toutes sortes de domaines. Et quand un interlocuteur lui faisait remarquer que la normalisation était un sujet hermétique et complexe, l’habile conteur qu’il était mettait de côté le jargon technique et racontait la normalisation comme on raconte une passionnante histoire. Il a même réussi à captiver l’attention des plus grands, dont le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) – Abdou Diouf – avec qui il avait discuté longuement du sujet. Il pouvait compter sur un réseau professionnel impressionnant qu’il entretenait soigneusement, non pas dans un carnet d’adresses, mais en établissant une relation unique avec chaque personne.
Jacques Girard était un homme érudit, mais sans prétention. Il était intègre, droit et loyal. Tous ceux et celles qui ont travaillé avec lui ont mentionné sa délicatesse, son respect de l’autre et sa bienveillance souriante. On se souvient qu’il vouvoyait toutes les femmes autour de lui, même celles qu’il côtoyait au quotidien. Il disait que c’était son petit côté « conservateur ». Sa porte était toujours ouverte et quand on entrait dans son bureau pour discuter d’un dossier ou d’une idée, on bénéficiait de toute son attention. C’est comme s’il se créait une bulle autour de nous. On devenait la personne la plus importante du moment. Et tous les matins, peu importe la charge de son agenda, il prenait le temps de dire bonjour à chacune des personnes de son équipe avant de s’installer à son bureau. Il aimait rire et raconter des histoires. Il aimait aussi nous entendre rire et nous le disait. Mais, plus que tout, il faisait confiance à son monde et à ses collaborateurs. Il avait l’habitude de dire :
« Je te donne un carré de sable et amuse-toi à faire des châteaux ».
Il nous donnait le goût de nous surpasser. Et c’est comme ça qu’il a fait grandir le BNQ et le RNF.
Récemment, j’ai eu l’immense plaisir d’aller le visiter et nous avons longuement échangé sur la vie et sur la mort et sur tout ce qu’il y a entre les deux. Il m’a confié :
« Marie-Claude, je pars tranquille, j’ai eu une belle vie ».
Il était serein et heureux de ce qu’il avait accompli dans sa vie, et avec raison! Je partage ce précieux moment avec vous, car je sais que tous ceux et celles qui l’ont côtoyé et qui le voient partir si vite ont un seul souhait pour lui : que son départ ait été doux et empreint de sagesse à l’image de l’homme qu’il est pour nous. Soyez rassurés, ce le fut.
Je dis souvent que c’est un privilège pour moi de diriger le RNF. Mais le vrai privilège de ma vie, c’est non seulement d’avoir croisé la route de monsieur Girard, mais c’est surtout d’avoir eu l’immense bonheur de faire un long bout de chemin avec lui. Son enseignement m’accompagnera jusqu’à la fin. En fait, Jacques Girard est éternel, pour moi et pour toutes les personnes qui ont fait route à ses côtés. Il nous laisse en héritage un riche enseignement personnel et professionnel et un réseau porteur de solutions concrètes pour notre chère Francophonie. À nous de continuer à bâtir les plus beaux châteaux, de raconter la normalisation et surtout, à son image, de faire une place dans nos vies pour contribuer au bien commun.
Denyse, Marie-Hélène, Jean-Robert, Florence et Marc-Éli, recevez au travers de cet hommage nos plus sincères condoléances de la part de sa grande famille de la normalisation. Votre mari, votre papa et votre grand-papa est un grand homme, un homme hors normes, comme il s’en fait trop peu.
Bon voyage, jeune homme!
Marie-Claude
Notes biographiques
M. Jacques Girard détient un baccalauréat en génie civil de l’Université Laval (1975). Il démarre sa carrière comme ingénieur et associé sénior au sein d’une firme de génie-conseil. En 1998, il prend la direction du Bureau de normalisation du Québec et en 2007, il fonde en partenariat avec l’AFNOR le Réseau Normalisation Francophonie, qu’il préside jusqu’à sa retraite. En 2010, le gouvernement français lui remet l’insigne de Chevalier des Arts et des Lettres pour souligner sa contribution remarquable au rayonnement de la langue et de la culture françaises dans le monde de la normalisation. En 2012, il reçoit le Prix Jean P. Carrière remis par le Conseil canadien des normes en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle à la normalisation canadienne.